19/11/2012

563. Deux êtres luttent - Le printemps éternel

DEUX ETRES LUTTENT...

Deux êtres luttent dans mon cœur,
C'est la bacchante avec la nonne,
L'une est simplement toute bonne,
L'autre, ivre de vie et de pleurs.

La sage nonne est calme, et presque
Heureuse par ingénuité.
Nul n'a mieux respiré l'été;
Mais la bacchante est romanesque,

Romanesque, avide, les yeux
Emplis d'un sanguinaire orage.
Son clair ouragan se propage
Comme un désir contagieux !

La nonne est robuste, et dépense
Son âme d'un air vif et gai.
La païenne, au corps fatigué.
Joint la faiblesse à la puissance.

Cette Ménade des forêts.
Pleine de regrets et d'envies,
A failli mourir de la vie,
Mais elle recommencerait !

La nonne souffre et rit quand même :
C'est une Grecque au cœur soumis.
La dyonisienne gémit
Comme un violon de Bohême !

Pourtant, chaque soir, dans mon cœur.
Cette sage et cette furie
Se rapprochent comme deux sœurs
Qui foulent la même prairie.

Toutes deux lèvent vers les deux
Leur noble regard qui contemple.
L'étonnement silencieux
De leurs deux âmes fuse ensemble;

Leurs fronts graves sont réunis ;
La même angoisse les visite :
Toutes les deux ont, sans limite,
La tristesse de l'infini !,..

LE PRINTEMPS ETERNEL

Un vent hardi, tout neuf, qu'on ne vit pas hier.
Est né du dernier froid de l'hiver qui décline,
Le soir plus clair s'attarde un peu sur la colline,
Il semble qu'on accorde activement dans l'air

Un orchestre secret qui s'essaye et qui vibre ;
On ne sait pas où sont tous ces musiciens
Qui soudain, sous le ciel plus étendu, plus libre,
Excitent le réveil des printemps anciens.

Le branchage est partout pointu, prêt à se fendre.
On sent l'effort naissant des bourgeons secs encor
Il semble qu'on entende un vague son de cor,
Mais amolli, rêveur, qu'on peut à peine entendre.

Quel est donc ce complot qui se prépare, et doit
Triompher promptement, tant l'allégresse est sûre,
Et quel est ce dieu vif, affairé, dont les doigts
Font dans la sombre écorce une tiède cassure ?

Sur le bord d'un chemin un chevreuil fait le guet :
Son visage de grand papillon brun surveille
La préparation du printemps. Ses oreilles
Ont l'ample enroulement des feuilles du muguet.

Quelle est cette subite, invisible présence
Par quoi tout l'univers est de bonheur atteint.
Qui fait gonfler le sol, qui promet l'espérance,
Par qui le ciel rêveur est enfin moins lointain ?

Oui, ce ciel délicat, qui songe et semble grave,
Tant il doit commander un ordre universel,
Semble dire à chacun : « Je m'approche, sois brave,
« Écoute mon auguste et dangereux appel.

« Oui je descends sur toi, sur les bêtes, les plantes,
« J'exige ton accueil, je m'empare de vous,
« O monde ! Le chaos, comme une eau molle et lente
« Se retirait devant mes bondissants genoux !

« Je suis le dieu qui vaque aux choses éternelles,
« Le Printemps inlassable, et chaque fois plus doux,
« Car jamais le plaisir humain ne se rappelle
« Mon fringant tambourin et mes chantants remous;

« Je suis ce qu'on ne peut évoquer, tant ma grâce
« Est faite d'un secret que je porte avec moi.
« Je suis ce qui étonne, et l'inquiet espace
« S'emplit en frémissant du parfum de mes mois !

« Je suis, par mon habile et perfide mélange
« De mystique langueur et de désir formel,
« Le moment où la terre et les êtres échangent
"Le plaisir d'être fort, l'espoir d'être éternel !

« Lorsque tout t'apparaît décrépitude et cendre
« Je suis celui qui dit : « Non, tu ne mourras point,
« Ce que le temps abat ma main vient le reprendre,
« Si loin que va la Mort je vais toujours plus loin!

« Non, vous ne mourrez pas, âme et corps pleins de sève !
« C'est moi le fossoyeur, moi l'ami des charniers,
« Moi le terreux Printemps, qui baise et qui soulève
« Les os les plus obscurs et les plus dédaignés !

« Je répands tous les morts dans mon immense geste
« Qui couvre tout à coup l'univers de plaisir !
« Les glauques océans, les rafales agrestes
« Balancent la durée éparse du désir... »

Voilà ce que proclame, en ce soir clair et tiède,
Le doux vent qui contient l'Éros aux pieds divins.
— Qu'il soit béni, le dieu ancestral et sans fin
Qui nous suit pas à pas et revient à notre aide,
Car, si ce n'est la mort, est-il d'autre remède,
O race des humains ! à vos maux incessants.
Que ce fougueux oubli que verse dans le sang
L'incontestable Amour, à qui toute âme cède ?...

Les Forces Eternelles