23/11/2012

581. Etonnement - Mélodie - Chant d'Espagne

ETONNEMENT


O monde, avoir vécu, avoir été des êtres
Par qui tout l'idéal céleste était conçu,
Avoir tout espéré, tout surmonté, tout su,
Et disparaître alors, sans retour disparaître !
Ne plus participer, d'un cœur sensible et fort,
Au noble, téméraire et dérisoire effort
D'extraire de la foule humaine un dieu sublime.
Je sens autour de moi, comme un noir corps à corps,
L'infini de l'abîme !

MELODIE

Comme un couteau dans un fruit
Amène un glissant ravage,
La mélodie aux doux bruits
Fend le cœur et le partage
Et tendrement le détruit.
— Et la langueur irisée
Des arpèges, des accords,
Descend, tranchante et rusée.
Dans la faiblesse du corps
Et dans l'âme divisée...

CHANT D'ESPAGNE

Gitan de la nomade horde,
Qui n'as nul pays pour le tien.
Tu penches ton front d'indien
Sur ta guitare aux rudes cordes.

Ta guitare est sur tes genoux
Comme une morte qu'on caresse,
Tu surveilles d'un œil de fou
Cette indifférente maîtresse.

La guitare pèse sur toi
De sa force inclinée et dure,
Tu ressembles à ces peintures
Qu'on voit dans les Chemins de Croix.

Assis sur une chaise basse,
Ton pied droit s'agrippant au sol,
Ton adresse excite et harasse
Un invisible rossignol.

Ta main brune empiète ou recule
Sur le bois reluisant et plat;
La mélodie au sombre éclat
Semble tisser du crépuscule.

Dans cette atmosphère de soir,
Il semble que ta main crispée
Fasse combattre et s'émouvoir
Les fines lames des épées.

— Ce chant buté, giclant, têtu,
Cette rauque monotonie,
Pauvre rêveur, qu'en attends-tu,
Puisqu'elle n'est jamais finie ?

Les Forces Eternelles