23/11/2012

578. Sagesse - Ferme tes nobles yeux - Mon esprit anxieux

SAGESSE


Ne sois jamais heureux, de peur qu'il t'en souvienne,
De tous les maux humains le bonheur est le pis :
Ce grand magicien, sur ton cœur assoupi,
Un jour retirera son âme de la tienne.

Crains-le, il a touché ta vie et ta raison,
Il est seul créateur dans un monde illusoire,
Le mirage des jours est son exhalaison.
Il te quitte : l'azur, l'allégresse, la gloire

Perdent leur véridique et palpable saveur,
Tout devient incertain, toute évidence cesse.
L'air est asphyxiant, la mer est sans fraicheur,
Le soleil est lui-même une île de tristesse !

L'univers qui prenait sa force dans tes yeux
Luit comme une aube terne en des salles d'hospice;
Une immense araignée arrondit jusqu'aux cieux
La toile ténébreuse et moite qu'elle tisse.

Pendant que tu languis et souffres, le passé
Revient sur le désert de ta vie et s'étale;
Et le souvenir choit sur ton être oppressé
Comme un poids suffocant de suaves pétales.

Et tu gis là, ayant renoncé tout instinct;
La faim, la soif n'avaient d'adroite vigilance
Que pour nourrir la joie et l'élan du matin :
De tout soin sans espoir une âme se dispense.

Tu ne peux pas savoir comment cela s'est fait
Ce brusque éloignement du bonheur ! Ton scandale
Est que l'esprit humain succombe sous ce faix,
Et ne puisse asservir sa détresse animale.
Rien ne consolera ton grand étonnement,
Sache-le ! La raison ne sert de rien pour vivre,
Tout ce qu'elle propose à l'âme trompe et ment.
Je ne peux rien promettre à ton grave tourment
Que la divine loi des recommencements :
Sois sage, afin qu'un jour tu redeviennes ivre !...

FERME TES NOBLES YEUX.

Ferme tes nobles yeux avant que l'âge ait mis
Sur leurs feux verdoyants sa méprisable usure,
Fier être à qui tout fut dévolu ou promis,
Et qui pris en pitié les destins endormis,
Va-t'en d'un ferme cœur et d'une marche sûre.
Se pourrait-il qu'on vît, si tu vivais trop tard.
Au fond de ta prunelle orgueilleuse et sensible,
O toi, dont le bel œil prit le soleil pour cible,
La triste ingénuité qui luit dans le regard
Des vieilles gens doux et risibles ?

— O beaux yeux turbulents, possesseurs conscients
Du vertige sacré que le regard propage,
Vous dont l'un était ivre et dont l'autre était sage,
L'un tout impétueux, l'autre tout patient,

Tant votre double antenne allait puiser sa flamme
Au cœur le plus doté de sens universel, —
Poudrez-vous que le temps, comme un nuage, entame
Votre astre éblouissant, songeur et sensuel ?
Evitez cet affront, doux honneur du visage !
Fermez-vous simplement, fortement, à jamais,
Rejoignez, beaux yeux verts, tous les défunts feuillages,
Vous qui ne pourriez pas, au divin mois de mai,
Apposer humblement un regard chargé d'âge !

MON ESPRIT ANXIEUX.

Mon esprit anxieux, qui n'est jamais distrait,
Vous palpe, ombre où plus rien de l'être ne subsiste,
Éternité d'avant, éternité d'après,
Double vertige autour de la vie ! Et j'existe !
Et mes yeux exercés aux célestes secrets
S'enchâssent dans la nuit comme un astre. Est-il vrai
Que l'on meurt, ayant tout aimé! Que je mourrai
Sans qu'un dieu fraternel à ce moment m'assiste ?
Ma vie, accident somptueux, vain et triste...

Les Forces Eternelles