23/11/2012

576. Une fière habitude - Offrande du batelier

UNE FIERE HABITUDE...


Une fière habitude, et qui nous aide à vivre,
Nous permet, chaque fois que le sort nous fut dur,
D'espérer que le mal dont le cœur se délivre
Est le dernier enfin ! Nous aimons le futur.

Il semble au noble esprit, amoureux de justice,
Que le malheur est sage et nous veuille exercer,
Et que, maître indulgent, il dise : « C'est assez. »
Lorsque nous fûmes doux et purs à son service.

Notre candeur se fie aux cieux harmonieux
A cause de la paix consolante des astres !
Mais le désordre immense et l'incessant désastre
Frappent distraitement les humains anxieux.

Ainsi j'ai tout souffert des turbulents orages !
Hier fut accablant, mais demain sera pis;
Je contemple en tremblant ce moment de répit...
— Destin, qu'attendez-vous encor de mon courage?

Accordez-moi, du moins, puisque vraiment je fus
Le flambeau secoué par vos mains orageuses,
De n'aborder jamais la vieillesse neigeuse,
D'opposer à l'ennui un flamboyant refus !

Veuillez vous souvenir que vous me fites telle
Que les étés prenaient leur éclat sur mon cœur,
Que la nue et mes yeux confrontaient leur chaleur.
Et que c'est par la paix que l'on se sent mortelle !

— Puissé-je, sans effroi, sans regret, sans effort,
Descendre noblement de l'amour à la mort...

OFFRANDE DU BATELIER

Déesse, j'ai construit, de mes adroites mains,
Des navires, avec les arbres des chemins ;
Les hêtres de Naxos, les cyprès de Tarente
Rendaient la nef légère et la rame odorante.

Mon travail, chaque jour, fut sincère et joyeux;
Sur le sol de Sicile, où je possède une anse,
J'ai vu, tel un berger que son troupeau devance,
Mes barques aux bonds vifs paître un flot écumeux.

Je fus jeune, j'aimai; Déesse, j'aime encore,
Quand la divine nuit vient intriguer l'esprit,
Je repose mon front, anxieux et surpris,
Dans le col d'une enfant plus tiède que l'aurore.

Je fus vaillant, mon sang hardi coulait sur moi
Dans les combats des mers. Un soir, humble et timide,
J'ai vu, dans Syracuse, Eschyle et Simonide,
Puis j'ai repris ma tâche à l'ombre de nos bois.

Aujourd'hui, j'ai senti, quand a brillé l'automne,
Qu'un cœur empli d'amour s'inquiète et s'étonne
De respirer l'azur, auquel il ne rend point
La force et le plaisir qui brûlaient dans mes poings
Lorsque ma vie était à son zénith ! Aussi
Je vais bientôt mourir. Ce n'est pas le souci
Qui me conduit vers toi, Déesse. Je t'apporte
Le lierre obscur et dru qui surmontait ma porte
Où je vais repasser, tantôt, tranquille et fort.
— Je t'offre ce rameau, douce Aphrodite d'or,
Pour n'avoir pas été, même au soir de mon âge,
Sans désir ni courage !

Les Forces Eternelles