04/02/2012

369. Les innocentes ou la sagesse des femmes. 2

2. Et c'est en effet un grand aveu et un grand pardon d'être seuls ensemble, avec l'intention du bonheur, dans une chambre secrète, fermée comme un tombeau. Fut-ce une minute heureuse ? Je ne sais, nul mot ne peut convenir, mais il y a de la majesté, et du désarroi sacré, et un calme funèbre aussi, dans ces deux voix qui se parlent dignement encore, alors que l'âme ne peut ignorer ce qu'il adviendra. Tu avais ajouté une goutte de parfum de fleur à ta personne, et tandis que cet arôme de jardin montait vers moi comme un fin rayon d'odeur satisfaisante, je m'attendrissais à l'idée que tu avais cru pouvoir te parachever, te surcharger de meilleur, t'environner de quelque agrément encore, toi si complet pour moi, si mystérieusement trop bien, et dont un seul des cils brillants me transperce ardemment comme la flèche plantée au cœur des saintes andalouses.
Et puis, après cette stupeur muette, embarrassée, balbutiante, tout nous devint naturel; nous fûmes à l'aise et comme sans émotion; nous organisions de reposer côte à côte et de respirer ensemble loin de tout l'univers. Nous étions tranquilles, nous qui nous aimions tant, et pareils à des enfants qui, ayant pu échapper par ruse à la vigilance des grandes personnes, ont rejoint le coin préféré du parc, son ombre enchanteresse où se trouvent les arceaux du jeu de croquet, les cordages aériens de la gymnastique et la délicieuse balançoire, convoitée, défendue, enivrante.
Dans cette chambre étroite et sombre, tant que tu fus près de moi, contre moi, miré en moi, oui, tout nous parut naturel. Nous n'eûmes pas ces grands bouleversements dont on parle dans les livres romanesques. J'étais, certes, éblouie par ton visage si proche et ton regard recouvrant le mien, et je me disais, pour la première fois de ma vie, que c'est bien beau les yeux, que c'est incroyablement beau, mais on est étourdi aussi par le soleil sans qu'il y ait là un miracle angoissant; et s'il nous faut expier un jour ce simple et divin bonheur d'avoir pressé notre passion entre notre bras, je dirai que l'inimitié du sort, excède ses droits, que nous fûmes sans torts et sans prétentions extrêmes, et non désignés pour la vengeance du destin.