04/12/2010

136. Elyane Savy : l'imaginaire dans l'oeuvre d'Anna de Noailles. 5

5/5. C'est à une véritable introspection du monde sensible que se livre notre poète en laissant la liberté la plus absolue au travail brut de l'imaginaire. Elle ne veut surtout pas qu'un artifice poétique vienne détourner l'image de sa signification première qui est l'élan pur de son moi profond. C'est pourquoi l'ensemble de son œuvre est totalement incontrôlé : « je ne suis pas un écrivain, j’écris comme je sens, tout bonnement »
Il parait nécessaire, dans le cas d’Anna de Noailles, d'étudier à la fois sa poésie et sa prose car nous découvrons dans ses romans et ses essais, largement développée, des images simplement ébauchées dans un poème ou un recueil. L'abolition des frontières syntaxiques laisse jaillir dans la prose des successions d'images souvent très complexes qui mettent à nu les désirs et 1es tourments les plus intimes. Cet examen minutieux qu'elle fait d'elle-même, de ses impressions, de ses sensations, du plaisir qui l'emporte ou de la douleur qui l'accable, est presque une étude psychologique du coeur humain et la façon dont elle laisse son inconscient lui dicter les images poétiques, son refus catégorique de voir corriger certaines erreurs, certaines liberté dans la phrase ou la rime, parce que la phrase ou le mot qui lui étaient venus à l'esprit reproduisaient le plus exactement possible une immédiate perception des choses ou du monde, la rapproche quelque peu des surréalistes et de leur écriture automatique. Avec ces images spontanées qui rajeunissent d'un coup la langue française, avec ces images fulgurantes que le génie est venu sculpter dans la masse brute, et grossière de la grammaire et du vocabulaire, nous entrons dans le rêve d'un être tourmenté.
Le rêve a occupé la plus grande partie de la vie d'Anna de Noailles, satisfaite ou insatisfaite, heureuse ou malheureuse, l'esprit comblé par les richesses de sa patrie ou tourné vers les richesses d'un autre monde qu'elle voulait plus accueillant, elle a rêvé de frontières plus riantes entre le corps et l'esprit, entre l'imaginaire et la réalité, entre elle et les autres. "Il n'est rien de réel que le rêve et l'amour", écrit-elle. La morne réalité, celle qui vient détruire, heure par heure, les habitants du quotidien, n'a jamais réussi à démonter complètement le fragile château de cartes qu'elle s'obstinait à reconstruire chaque jour avec de nouveaux mythes, de nouvelles passions et de nouveaux héros. Quand la réalité devenait trop dure, elle s'échappait dans le monde des images, dans "(s)on rêve volant, éclatant et chantant". "J'ai vécu débordant de songes ». Elle a eu le courage d'aller jusqu'au bout de son rêve, elle n'a jamais cherché à l'arrêter quand il pénétrait le terrain dangereux de l'exagération elle ne s'est jamais protégée contre les sensations trop fortes et les excès d'émotion qui venaient l'emporter ou le blesser, elle a laissé s'épanouir tous les trésors que son imagination contenait, elle a tout pris de la vie dans son corps ouvert à l'univers : « O coeur religieux, un corps est une église, un corps humain qui rêve est un temple entr'ouvert »