04/12/2010

138. Elyane Savy : l'imaginaire dans l'ouvre d'Anna de Noailles. 3

3/5. De quelles fautes impardonnables était-elle donc coupable pour qu'on veuille enterrer son œuvre et son souvenir dans cet oubli ingrat dans lequel sont aussi tombées Renée Vivien, Marie de Régnier et Lucie Delarue-Mardrus? Charles Maurras a reproché à ces quatre poètes un romantisme à rebours. La plupart des articles consacrés à Anna de Noailles de son vivant, si l'on excepte ceux des débuts de sa carrière qui vantent, parfois à l'excès, son génie poétique parlent de négligences techniques, de légèretés à l’égard de la langue française, d'un lyrisme incontrôlé. On lui reproche de ne pas suivre les règles d'une école, de ne rien innover en matière de technique littéraire, de ne pas faire école. La critique aurait voulu qu'elle contrôle mieux ses idées et son style et qu'elle parle d'autre chose que d'elle-même ; ainsi, elle aurait pu coller une étiquette en « isme » sur son nom, lui trouver un maître et, éventuellement, des disciples. Mais les maîtres étaient déjà multiples, et les disciples restaient absents. Le temps passant, ne sachant dans quelle catégorie l'inclure, on décida de l'oublier, et personne ne trouvant en elle l'étoffe d'un grand maître, on l'abandonna.
Pourtant, l'indépendance d'Anna de Noailles envers les règles, la façon très personnelle dont elle chante la nature, l'amour et la mort, l'originalité de ses images poétiques, auraient dû suffire à lui accorder une place dans la mémoire française. Les poétesses ne semblent pas retenir l'attention des siècles qui passent. Saphô est mortelle, mais pourra-t-on en dire autant de Louise Labé ou de Marceline Desbordes-Valmore? Et Anna de Noailles, saura-t-elle forcer la mémoire du temps ?
Anna de Noailles ne s’est pas pliée aux règles parce qu'elle voulait écrire ce qu'elle ressentait et que ce qu'elle ressentait n'avait pas de limite et ne supportait pas une étroite discipline. Sa poésie et sa prose ne s'enferment dans aucune sophistication verbale et ne prétendent jamais à l'intellectualisme. C’est l'émotion qu'elle poursuit, "je ne poursuis que l'exactitude de l’émotion, comprenez-vous?" confie-t-elle à Paul Acker; et elle ajoute : "Je ne suis pas un écrivain, j’écris comme je sens, tout bonnement".