08/04/2011

213. "A Palerme, au jardin Tasca"

Source non connue

J'ai connu la beauté plénière,
Le pacifique et noble éclat
De la vaste et pure lumière,
A Palerme, au jardin Tasca.
Je me souviens du matin calme
Où j'entrais, fendant la chaleur,
Dans ce paradis, sous les palmes,
Où l'ombre est faite par des fleurs.
L'heure ne marquait pas sa course
Sur le lisse cadran des cieux,
Où le lourd soleil spacieux
Fait bouillonner ses blanches sources.
J'avançais dans ces beaux jardins
Dont l'opulence nonchalante
Semble descendre avec dédain
Sur les passantes indolentes.
L'ardeur des arbres à parfums
Flamboyait, dense et clandestine;
Je cherchais parmi les collines
Naxos, au nom doux et défunt.
Comme des ruches dans les plaines,
Des entassements de citrons
Sous leurs arbres sombres et ronds
Formaient des tours de porcelaine.
Les parfums suaves, amers,
De ces citronniers aux fleurs blanches
Flottaient sur les vivaces branches
Comme la fraîcheur sur la mer.
Creusant la terre purpurine,
D'alertes ruisseaux ombragés
Semblaient les pieds aux bonds légers
De jeunes filles sarrasines !
Je me taisais, j'étais sans vœux,
Sans mémoire et sans espérance;
Je languissais dans l'abondance.
-O pays secrets et fameux,
J'ai vu vos grâces accomplies,
Vos blancs torrents, vos temples roux,
Vos flots glissants vers l'Ionie,
Mais mon but n'était pas en vous;
Vos nuits flambantes et précises,
Vos maisons qu'un pliant rideau
Livre au chaud caprice des brises;
Les pas sonores des chevreaux
Sur les pavés près des églises;
Vos monuments tumultueux,
Beaux comme des tiares de pierre,
Les hauts cyprès des cimetières,
Et le soir, la calme lumière
Sur les tombeaux voluptueux,
Les quais crayeux, où les boutiques,
Regorgeant de fruits noirs et secs,
Affichent la noblesse antique
Du splendide alphabet des Grecs;
L'étincelante ardeur du sol,
Où passent, riches caravanes,
Des mules vêtues en sultanes
Trottant sous de blancs parasols,
Toutes ces beautés étrangères
Que le coeur obtient sans effort,
N'ont que des promesses de mort
Pour une âme intrépide et fière,
Et j'ai su par ces chauds loisirs,
Par ce goût des saveurs réelles,
Qu'on était, parmi vos plaisirs,
Plus loin des choses éternelles
Qu'on ne l'était par le désir !