08/04/2011

214. "Agrigente"


Le ciel est chaud, le vent est mou;
Quel silence dans Agrigente!
Un temple roux, sur le sol roux
Met son reflet comme une tente...
Les oiseaux chantent dans les airs;
Le soleil ravage la plaine;
Je vois, au bout de ce désert,
L'indolente mer africaine.
Brusquement un cri triste et fort
Perce l'air intact et sans vie;
La voix qui dit que Pan est mort
M'a-t-elle jusqu'ici suivie?
Et puis l'air retombe; la mer
Frappe la rive comme un socle;
Tout dort. Un fanal rouge et vert
S'allume au vieux port Empédocle.
L'ombre vient, par calmes remous.
Dans l'éther pur et pathétique
Les astres installent d'un coup
Leur brasillante arithmétique !
-Soudain, sous mon balcon branlant,
J'entends des moissonneurs, des filles
Défricher un champ de blé blanc,
Qui gicle au contact des faucilles;
Et leur fièvre, leur sèche ardeur,
Leur clameur nocturne et païenne
Imitent, dans l'air plein d'odeurs,
Le cri des nuits éleusiennes !
Un pâtre, sur un lourd mulet,
Monte la côte tortueuse;
Sa chanson lascive accolait
La noble nuit silencieuse;
Dans les lis, lourds de pollen brun,
Le bêlement mélancolique
D'une chèvre, ivre de parfums,
Semble une flûte bucolique.
-Donc, je vous vois, cité des dieux,
Lampe d'argile consumée,
Agrigente au nom spacieux,
Vous que Pindare a tant aimée!
Porteuse d'un songe éternel,
O compagne de Pythagore!
C'est vous cette ruche sans miel,
Cette éparse et gisante amphore!
C'est vous ces enclos d'amandiers,
Ce sol dur que les bœufs gravissent,
Ce désert de sèches mélisses,
Où mon âme vient mendier.
Ah! quelle indigente agonie!
Et l'on comprendrait mon émoi,
Si l'on savait ce qu'est pour moi
Un peu de l'Hellade infinie;
Car, sur ce rivage humble et long,
Dans ce calme et morne désastre,
Le vent des flûtes d'Apollon
Passe entre mon coeur et les astres !