11/04/2011

262. "Le destin du poète"


C'était un matin chaud, serein, religieux,
Dans cette ombre bleuâtre où l'homme naît; les dieux
Tenaient entre leurs mains une âme qui tressaille,
Qui s'éveille et s'émeut. Les dieux disaient: «Qu'elle aille,
Luttant contre les vents et le nuage obscur,
Dans l'azur et toujours plus avant dans l'azur!
Qu'errante, mais encore à nos cieux retenue,
Elle vive les bras étendus vers la nue,
Ne pouvant oublier et ne pouvant saisir
Le souvenir épars de l'immortel plaisir;
Qu'elle aille, épi de blé que l'univers va moudre,
S'attachant au soleil, s'attachant à la foudre;
Qu'innocente, et croyant à la bonté du jour,
Elle répande en vain son ineffable amour,
Et que toute sa joie, enivrée, abattue,
Retombe sur son coeur comme un fardeau qui tue !
Qu'aucun baiser ne soit assez âpre et puissant
Pour celle dont le sang veut rejoindre du sang;
Ivre d'effusion et d'ardeur fraternelle,
Que les mots qu'elle dit ne soient compris que d'elle.
Quand la clarté des nuits étend l'ombre des ifs,
Que tous ses désirs soient allongés, excessifs,
Et qu'elle porte alors, comme un poids qui l'écrase,
Les souhaits, le plaisir, le regret et l'extase !
Qu'un matin, dédaignant les douceurs de l'été,
N'aimant plus que l'orgueil et que l'éternité,
Elle aille, se blessant d'un véhément coup d'aile;
Qu'elle soit morte enfin, et qu'il ne reste d'elle
Que quelques chants plaintifs, dont le tremblant éclat
Touche moins que l'odeur vivante des lilas,
Que les cris des oiseaux dans les nuits sanglotantes,
Que les pleurs des jets d'eau, que les brises errantes,
Et qu'ainsi les humains, dont le coeur faible et dur,
Ignore nos desseins enfermés dans l'azur,
Qui croient que leur bonheur est notre complaisance,
Voyant cette âme lasse et lourde de souffrance,
Ne puissent pas savoir,-secret profond des dieux,-
Que c'était celle-là que nous aimions le mieux.