Remarque. Une large sélection des textes de ce recueil a déjà été publiée dans les messages 310 à 329.
Quelques uns de ces poèmes sont repris dans les messages 643 à 649 ci-après. Le titre affiché est celui de leur premier vers.
643. Je ne t'aime pas
644. Le silence répand son vide
645. Quand tu me plaisais
646. Le temps n'est pas toujours
647. Les vers que je t'écris
648. Je t'aimais par les yeux
649. Ils sont les bâtisseurs
-------------------------------------
A propos du recueil "Poème de l'Amour"
in "Anna de Noailles", par Claude Mignot-Ogliastri, page 343 à 345
Éditions Méridiens Klincksieck 1987. ISBN 2-86563-150-8
Bergson saluait chaque œuvre d'A.de Noailles, car il lui reconnaissait le don « de voir se pénétrer les unes les autres bien des choses que nos sens et notre intelligence nous présentent comme distinctes. De là des intuitions dont le métaphysicien pourrait faire son profit ».
Le
9 septembre 1924, il la félicite d'obtenir « des mots qu'ils expriment
l'inexprimable. De votre " Poème de l'Amour se dégage ce que j'appellerais
une métaphysique de la
sensation. Par une opération magique, vous nous faites
apercevoir clins la sensation tout un monde de pensées avec lequel — je ne sais
comment — elle coïnciderait ; l'infini nous apparaît ainsi dans l'élémentaire.
Mais en même temps se découvre l'immensité d'illusion (...) qui est au fond de
la passion humaine ».
Comme
le rappellera Mauriac, cette analyse impitoyable de l'amour apparaissait déjà
dans les deux précédents recueils. La nouveauté ici est le renoncement à la
véhémence, à l'amplitude. Ces 175 poèmes sans titres, numérotés et donc
inséparables, sont jetés d'un trait, sans grand souci de l'alternance régulière
des rimes, comme sur les deux cahiers manuscrits où ils figurent, page après page. Ils ont de 4 à 12
vers, au plus 40, avec une prédilection pour l'octosyllabe […] parfois combiné
à l'alexandrin.
[…] Ce souffle court,
haletant peut paraître monotone - certains critiques, comme Lucien Fabre,
suggéreront d'élaguer des poèmes superflus - mais convient à l'unité d'un thème
: ici l'amour, dans le recueil suivant, la mort. Le grand mérite du Poème
de l'Amour, c'est
donc de façonner un instrument pour L'Honneur de Souffrir, livre plus convaincant.
A.
de Noailles fit don du manuscrit à Jean Rostand, l'un de ceux qui l'avaient
incitée à ce resserrement formel. Mais sa nouvelle manière nuisit au succès du
recueil, qui n'eut qu'une trentaine d'articles. Critiques élogieux, sauf
Emmanuel Buenzod qui, dans La Semaine
littéraire de Genève, condamne « ces 220 pages de galimatias » comme
une « chute », une « erreur » à oublier et réparer bien vite. Aux Nouvelles Littéraires, en» août, Martin du Gard
remplace un éreintement du féroce Léautaud par un éloge de Lucien Fabre, poète
et admirateur à la fois de Valéry, Noailles et Maurras. Thibaudet,
invariablement, la trouve romantique, tout en comparant certains vers à du
Racine.
De
bons papiers […] louent l'analyse stendhalienne, le « poème intellectuel de la
passion », dit Thérive, signalent le renversement des sexes : Mme de Noailles
est devenue le Samson de Vigny, note Rageot. C'est « la mésalliance d'une Muse
avec un pygmée », renchérit Souday, à qui « Si vraiment les mots
t'embarrassent, Ne dis rien... » rappelle le « Sois charmante et tais-toi » de
Baudelaire. Enfin quand le poète offre « la renommée éternelle » à celui qui ne
sera, « dans quelque humble retraite, Qu'un homme vieux et fatigué », on songe
à Ronsard -et Hélène.
Métérié
(Le Feu), Vaudoyer (RII) ou Le Cardonnel (Le Journal) savent voir le feu lyrique
sous ce renoncement à l'effusion et aux paysages. Mais d'autres se disent «
déconcertés », ce qui agace A. de Noailles. Ainsi félicite-t-elle Vandérem qui
applaudit dans la Revue de
France à ces
« vers serrés, nerveux, laconiques » et la rapproche de Louise Labé, de voir ce
livre « tel qu'il est,
à la fois prolongement de mon œuvre et comme détaché d'elle, jeté plus avant
dans le feu, — ce qui étonne et dépayse nos critiques et penseurs frivoles, qui
me veulent retenir aux jardins ! »
Mauriac,
dont l'article en octobre 1924 est l'un des plus pénétrants, n'est pas de
ceux-là, « qui voudraient que, tous les ans », elle « recommençât d'écrire Le
Coeur innombrable ». Il montre la lucidité terrible du nouveau recueil — «
Je t'aime / Comme si tu n'existais pas », mais aussi le détournement de sens
opéré sur le « Il faut d'abord avoir soif » de Catherine de Sienne, placé en exergue.
La Sibylle Noailles est « d'avant le Christ ».
Et il conclut : « Nul poète n'aura su mieux nous enseigner qu'en dehors de
Dieu, rien n'existe que l'amour charnel, mais que cet amour se distingue mal de la haine et
qu'il a le goût du néant. »