Il est des morts vivants, patients, qui survivent
A la morte jeunesse, honneur divin du corps,
Et leur âme, qui n'est ni sombre ni plaintive,
Contemple l'univers et s'y retient encor.
Ils marchent dans un pâle et modéré vertige,
Étrangers aux saisons, exemptés de leurs lois.
L'été, tout hors de lui et pressurant, n'exige
Plus rien de ces yeux secs et de ces cœurs étroits.
Car la Nature dit à l'homme rêvant d'elle :
« Je n'ai pas le besoin de ton mystique amour,
« Le plaisir contribue à ma vie éternelle,
« J'aimais ton turbulent et langoureux concours.
« Je t'accueillais parmi mes forces végétales
« Pour mieux te proposer l'angoisse et l'infini,
« Et pour que pénétrât dans tes brûlantes moelles
« L'odeur d'un univers qui ne peut t'être uni.
« Je te disais : Voici, qui jamais ne se donne,
« Mon provocant azur, scintillant de moiteur,
« Voici ma nuit avec ses grands soupirs d'odeur,
« Et mon ciel effrayant dont tout regard s'étonne !
« Voici mon vaste ciel, dont l'irritant éclat
« Arrache un cri d'ivresse aux cervelles humaines ;
« Voilà tout mon terrestre et céleste domaine,
« Chère âme, pille-le ! — Je te disais cela
« Afin que, ne pouvant t'emparer des étoiles,
« Ni tarir mes parfums humides et gisants,
« Tu sentisses l'ardeur triste et sentimentale
« Diriger tes soupirs vers un sein languissant.
« Je suis ce qui désire, et je suis ce qui tue.
« Mon cœur, plus que le flux et le reflux, actif,
« Ne peut s'intéresser qu’à ce qui perpétue.
« Je dédaigne en riant un front grave et pensif. »
Et la Nature dit : O Oubli, crainte, paresse,
« Qu'est-ce qui lie à moi les vieilles gens pâlis,
« Qui, ne souhaitant plus les fidèles caresses,
« Ignorent le tumulte éblouissant des lits ?
« Pour me complaire, on doit brûler, combattre, mordre,
« Rire, espérer, bondir, sangloter tour à tour,
« Et meurs, si tu ne peux fournir, selon mes ordres,
« Les grands élans qu'il faut pour la guerre et l'amour ! »
Les Forces Eternelles