01/02/2012

347. Les paysages - Les rêves


LES PAYSAGES

Les paysages froids sont des chants de Noëls,
Et les jardins de mai de languides romances
Qui chantent doucement les péchés véniels
Et mènent les amants à de douces clémences...
Les paysages froids sont des chants de Noëls.

Les bouquets de palmiers et les fleurs de grenades,
Évaporant dans l'air leurs odorants flacons,
Donnent, au soir venant, d'ardentes sérénades
Qui retiennent longtemps les filles aux balcons...
Les bouquets de palmiers et les fleurs de grenades !

Le charme désolé du paysage roux
Soupire un air connu des vieilles épinettes ;
La grive se déchire aux dards tranchants des houx
Et le corail pâlit aux épines-vinettes...
Le charme désolé du paysage roux !

Le feuillage éperdu des sites romantiques,
Où la lune dans l'eau se coule mollement,
Élance vers le ciel en de vibrants cantiques
Le mensonge éternel de l'amoureux serment...
Le feuillage éperdu des sites romantiques !

Et le rire éclatant des paysages blonds
Court sur l'eau des ruisseaux, dans le maïs des plaines
Et fait tourbillonner les grappes de houblons
Et les abeilles d'or autour des ruches pleines...
Le rire ensoleillé des paysages blonds !

LES REVES

Le visage de ceux qu'on n'aime pas encor
Apparaît quelquefois aux fenêtres des rêves,
Et va s'illuminant sur de pâles décors
Dans un argentement de lune qui se lève.

Il flotte du divin aux grâces de leur corps,
Leur regard est intense et leur bouche attentive ;
Il semble qu'ils aient vu les jardins de la mort
Et que plus rien en eux de réel ne survive.

La furtive douceur de leur avènement
Enjôle nos désirs à leurs vouloirs propices,
Nous pressentons en eux d'impérieux amants
Venus pour nous afin que le sort s'accomplisse ;

Ils ont des gestes lents, doux et silencieux,
Notre vie uniment vers leur attente afflue :
Il semble que les corps s'unissent par les yeux
Et que les âmes sont des pages qu'on a lues.

Le mystère s'exalte aux sourdines des voix,
A l'énigme des yeux, au trouble du sourire,
A la grande pitié qui nous vient quelquefois
De leur regard, qui s'imprécise et se retire...

Ce sont des frôlements dont on ne peut guérir,
Où l'on se sent le coeur trop las pour se défendre,
Où l'âme est triste ainsi qu'au moment de mourir ;
Ce sont des unions lamentables et tendres...

Et ceux-là resteront, quand le rêve aura fui,
Mystérieusement les élus du mensonge,
Ceux à qui nous aurons, dans le secret des nuits,
Offert nos lèvres d'ombre, ouvert nos bras de songe.

Le cœur innombrable, poèmes, Calmann-Lévy, 1901