27/02/2012
494. Danseuse persane
Dame persane, en robe rose,
Qui dansez dans le frais vallon,
Tournez vers mon âme morose
Votre oeil de biche, sombre et long.
Veuillez écouter ma complainte:
J’étais faite aussi pour danser
Sur la tulipe et la jacinthe
Que vos pieds viennent caresser.
Un bas en or sur votre jambe
Luit comme un réseau de soleil,
Et tout votre jeune être flambe
Auprès d’un branchage vermeil.
Ce bel arbuste solitaire,
Où vous enroulez votre bras,
Est en feu comme un lampadaire,
Et parfume comme un cédrat.
Indiquez-moi la douce allée
Qui mène à ce pays charmant;
Quel est le nom de la vallée
Où vous dansez éperdument ?
[...] Comme je vois à tous vos gestes,
A vos secrets qu’on peut saisir,
A toutes vos mines célestes,
Que vous n’aimiez que le plaisir !
Que t’importait, ange farouche,
Ardent, faible et voluptueux,
Ce que, loin de ta douce bouche,
Les vieux sages disaient entre eux.
Pendant leur morne promenade,
Sur les bords du Tigre, en été
Roulant leurs chapelets de jade,
Ils maudissaient la volupté.
Ils disaient que, puisque tout passe,
Puisque l’être est pareil au vent,
Il faut méditer dans l’espace,
Sous les platanes d’un couvent…
– Mais toi, danseuse au clair délire,
Gâteau de miel, de lis et d’or,
Tu ris et dédaignes de lire
Leurs manuscrits où l’on s’endort.
Que leur corps usé se repose !
Mais toi, lorsque le rossignol
Se gorge du vin de la rose
Et tombe étourdi sur le sol,
Lorsque, sous la blanche églantine,
Dans l’épais tapis des cerfeuils,
La lune emplit d’ardeur divine
Les loups, les lynx et les chevreuils,
Tu t’élances sous le beau cèdre,
Tu caresses ses noirs rameaux,
Tu danses, grave comme un prêtre,
Chaude comme les animaux !
Tu chantes, et ta cantilène
Jaillit, bondit, comme un jet d’eau,
Toute ton âme se promène
Du vallon noir au noir coteau !
Tu dis que c’est l’heure de vivre,
Que le moment de vivre est court,
Que ton Dieu veut que l’on s’enivre
De parfum, de vin et d’amour !
Tu dis que la terre est sans joie
Pour ceux qui sont dans le tombeau,
Qu’il faut que le désir s’éploie
Comme un vautour cruel et beau !
Tu dis, danseuse sanglotante,
Mêlant les pleurs à ton appel,
Que voici l’heure haletante
Où bout le sang universel !
Voix joyeuse et désespérée,
Ah ! que veux-tu donc obtenir
Par ton angoisse humble et sacrée,
Qui semble gémir ou hennir ?
Tu chantes la vie, et la vie!
Mais, ô soif de l’immensité,
Je sais que ta suprême envie
Est de mourir de volupté…
Les Éblouissements (1907)
Source : http://www.annadenoailles.org/bibliographie/poesie/eblouissements/