06/12/2010

143. "Tumulte". 2

2. Des enfants de quinze ans causent ensemble, se confient l'un à l'autre, s'attirent vers la sagesse, la bonté, la perfection, et voilà que la Nature intervient : "Il ne s'agit plus de vous, leur dit-elle, mais de moi". Et ces jeunes êtres qui riaient, qui escomptaient l'aisance et la joie, les voilà dans l'impossibilité de ne pas souffrir. Qu'ils soient fiers, héroïques, rois, ils servent de pâture.
Je m'arrête et je songe, Amour. Plusieurs fois votre visage est venu sur notre chemin, D'abord, enfant, nous vîmes votre ombre mur les routes où nous courions, où, insouciants - on nous croyait insouciants - nous courions, et nous baisions votre ombre sur la terre, dans les matins de juin où les jaunes coucous, l'anis et les campanules d'un bleu violet s'élèvent comme une récompense pour les enfants qui ont espéré. Ainsi j'étreignais votre ombre sur la terre, l'ombre de vos pas sur mon chemin léger ! Et puis j'ai goûté l'eau des sources, remué la vase caillouteuse des sources emportées ; j'ai touché le nid de l'oiseau, le mystérieux nid agrégé et désagrégé, sec et tendre, que les oiseaux ont délaissé, mais qui semble encore tiède, prit- dent, mélodieux, et qui garde le mystère d'avoir été composé au temps de l'amour. Ainsi, je vous touchais, je vous contemplais avec vénération, Amour ! Sous la gaze orangée des soleils couchants ; dans la gaieté de l'aube naïve qui point comme point le bourgeon ; dans l'aile traînante des voiles blanches d'un voilier chargé de pierres, qui s'efforce sur un lac assoupi ; dans la timidité de la nature avant l'orage, quand tout s'humilie, implore, quête la clémence (car l'oiseau cesse de chanter, il erre inquiet ; l'abeille disparaît, s'effondre, veut être épargnée ; le cygne sur l'étang reste immobile ; les poissons ont coulé dans les ténèbres de l'eau ; la brise, la lumière, le souffle se sont arrêtés; tout s'amende) - oui, dans cet instant, dans tous les instants, c'est vous que j'ai reconnu, pressenti, porté, supporte, Amour !
Vous êtes la première création - "et la lumière fut" - vous êtes ! Et tous les sentiments de l'homme, la soif, la faim, le désir du repos ou de l'omnipotence, le besoin de vivre, de ne pas être mort, de ne pas être ce mort qui, semble-t-il, consent à être mort, tous les instincts vous suivaient, Amour, comme les lions et les tigres adoucis accompagnaient dans le désert le thaumaturge qui commande an nom de son Dieu.
Mais ni le bonheur ni la douleur ne peuvent être parfaits chez l'homme imparfait. Rien ne demeure. (Exactitudes)